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Banalité de la vie

Dernière mise à jour : 19 nov. 2019

L’écrivain suisse Matthias Zschokke pose un regard désenchanté sur la vie à Berlin d’un écrivain, dont les projets n’aboutissent pas. Une réflexion ironique, désespérée sur le quotidien et les images de soi.

Quand les nuages poursuivent les corneilles. Matthias Zschokke
L'art de lutter avec la banalité de la vie quotidienne


Matthias Zschokke
Un écrivain poétique, utopique et baroque

Le titre du roman de Matthias Zschokke est tout à la fois poétique, léger et profond: Quand les nuages poursuivent les corneilles (Editions Zoé).


La fable découvre le bien nommé auteur, Roman. Il envisage d’effectuer un hold-up nu, complètement nu, manière pour lui de ne pas être reconnu. Pour favoriser un projet théâtral dans une existence artistique en manque de reconnaissance.


Le récit est rythmé d’observations ironiques et mordantes sur la vie quotidienne d’un être qui se laisse dériver. La mélancolie et la lucidité produisent une probable critique indirecte de nombreux coaching de vie: «Les humains n’ont pas le droit d’être las de vivre. Ils doivent jubiler et bondir jusqu’à la fin de leurs jours, même si la jubilation est en réalité un gémissement et qu’on bondit sur des charbons ardents.»


Il y a aussi, tirée du poète philosophe latin Lucrèce, cette critique indirecte notamment des réseaux sociaux permettant la démultiplication infinie de son image: «L’être humain… exhalerait en plein jour des milliards d’images de lui-même, une pellicule après l’autre qui se détacherait de lui, c’est pourquoi il vieillirait et s’affaiblirait et à moment donné, il serait à son terme.»


Quitter en partie la vie

Le personnage Roman vit néanmoins un bonheur intermittent avec celle qui «partage» sa vie. Mais sa mère âgée et son ami de longue date le supplient de mettre fin à leurs jours. B. lui renouvelle ainsi par courriels son souhait de trépasser au plus vite, tant la lassitude amère de l’existence le taraude. «Son dégout de la vie était si fort que B. n’allait même plus souvent se coucher mais restait à regarder sombrement devant lui, en buvant du vin blanc… »


Roman ressemble au personnage de Monk, détective privé de série tv conjuguant phobie du contact et méticulosité maniaque. La sexualité pour lui ? «Une occupation qu’on effectue péniblement… pour atteindre une norme fixée industriellement.» Moins que l’intrigue, à la fois simple et délicate à cerner, ce qui marque chez Matthias Zschokke est le manière de dire, le sens affiné de l’observation continument renouvelé, les atmosphères flottantes. De grandes interrogations vitales, mortifères, nombre de minuscules aussi. Genre : «c’est bizarre, plus on devient vieux, plus on s’irrite contre soi-même. On pourrait pourtant conclure la paix avec soi-et s’accepter comme on est.»


Arranger sa life

Le sujet principal ? La place incertaine de chacun dans un train-train quotidien. Forcément absurde, déceptif, surréaliste et étrange. Un quotidien que l’auteur fait redécouvrir l’auteur avec sa nonchalance désabusée. Observer comment s’échafaudent et se délitent les corps. Celui de joggeurs à la retraite ou de sa mère. Regarder, les canards, les chiens, les araignées, la préparation d’un pistolet Beretta, les nuages que poursuivent des corneilles.


Dans la répétition de journées souvent identiques avec effet miroir pour le lecteur, «comment on arrange sa vie de façon à ce qu’elle soit le plus supportable possible». Pourquoi pas en prenant le risque d’être heureux en couple ? Avec une bien-aimée qui efface tout de ses souvenirs du jour d’avant, vivant ainsi du neuf intégral à chaque réveil. Troublant.


Bertrand Tappolet


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