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Bernard Noël, la résistance faite écriture

Le poète et essayiste, romancier, critique d’art, traducteur a disparu le 13 avril 2021. Il fut une voix singulière et méconnue de la littérature française.

Quand les nuages poursuivent les corneilles. Matthias Zschokke
La captation de la Culture par l'économie est problématique pour Bernard Noël:. (© John Foley/P.O.L.)


Matthias Zschokke
Bernard Noël. © Pierre Nicolas

Pour ce natif en 1930 de Sainte-Geneviève-sur-Argence (Aveyron) élevé par ses grands-parents, la parole s’accorde avec l’identité désorientée d’un narrateur. Elle la remet continument en question. «Qui suis-je quand je parle? qui suis-je quand j’écoute?» - Une Messe blanche, 1970. Il s’installe à Paris en 1949, entreprend des études de journalisme et sociologie. Il vit de traductions avant que de n’être aussi correcteur, lecteur et secrétaire dans une modeste maison d’éditions. Puis employé au sein de la bibliothèque historique de la Ville de Paris.


Bernard Noël publiera ensuite romans et poèmes salués par l’avant-garde littéraire, plus d’une cinquantaine de titres, restant à l’écart des écoles littéraires. Il fut une figure tutélaire pour des générations d’auteurs nés après lui.


Mémoires et oubli

Les événements qui le marquèrent de leur sceau indélébile sont ceux de sa génération: la bombe atomique, les révélations, récits et témoignages sur les camps Nuit et Brouillard, la découverte des crimes de Staline, Guerres au Viêtnam, en Corée et Algérie. En écho possible à ces cicatrices mêlant intime et histoire et à l’écriture vécue comme la seule manière d’oublier un sens qui se refuse, l’unique outil pour vivre.


Pour Le Livre de l’oubli, il réunit des notes rédigées en 1979: fragments, questionnements, esquisses de dialogues, poèmes, maximes, notes de lectures portent le mouvement de l’oubli. Qui exige inexorablement, logiquement bien plus que paradoxalement, l’écriture. «Aucune parole n'est perdue mais toutes sont oubliées en attendant que nous reviennent par l'écriture des parties impersonnelles de ce que nous savons sans le savoir.»


Corps et silences

1958. Il publie Extraits du corps, un recueil poétique décomposant littéralement le corps. Avant de se réfugier dans près d’une décade de silence, pour faire à nouveau écritures. A ses yeux, le silence n’est qu’un état de la parole. Il l’ouvre et la referme, elle en vient et s’y accomplit. Loin d’être apaisement, le mutisme se révèle douleur, impossibilité à dire. Une brassée d’une dizaine de poèmes. Ils se font sismographes, cartographes d’un corps démembré, mis à nu.


Comme dans une leçon d’anatomie poétique tirant les chairs du clair-obscur redoublant leurs tourments et drames. Poèmes violents et violentés d’un écrivain de vingt-huit ans face à ce que l’on nommait alors les «événements» d’Algérie ou la guerre de Corée dans leur violence à une échelle industrielle. Fidèles à une vision cyclique, certaines tournures retournent à la Bible. En témoigne «Je suis la terre et l'affaissement de la terre» retrouvant le rythme et la grammaire de« Je suis poussière et redeviendrait poussière».


Partir et revenir coexistent

Après des poèmes à faible diffusion, il a connu une relative notoriété grâce au scandale d’un roman érotique qui lui vaut des poursuites pour outrage aux bonnes moeurs, Le Château de Cène (1969), concernant ses tableaux sexuels. Condamné en 1973, il bénéficie d’une amnistie après l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing.


En 1988, sa première pièce de théâtre, La Reconstitution aborde une bavure policière dévoilant un CRS abattant un jeune homme à Paris en 1986. Parlant du corps, l’écriture y installe un regard exploratoire, au scalpel et métaphorique. L’auteur s’acharne à attester en écrivant, l’impuissance de l’écriture. Et que toute vérité de la connaissance demeure en suspension entre les lignes, dans ce qui est inaccessible. L’écriture demeure toutefois une expérience indispensable.


Critiques de nos sociétés, Bernard Noël avance que «la pandémie crée une situation intimement partagée par tous comme aucune idéologie n’avait réussi à le faire». Il ajoute que «la société de consommation, devenue complètement la nôtre, est gouvernée par une économie incompétente dans l’ordre du vivant, elle qui nous confine dans un présent condamné à s’épuiser lui-même et la vie avec.» (Mediapart, 03.05.2020).


Bertrand Tappolet


Une grande partie de l’œuvre de Bernard Noël est publiée aux Editions de Minuit.


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