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Chambres mémorielles

Dernière mise à jour : 25 déc. 2024

"Nachlass. Pieces sans personnes" transcende les frontières du théâtre traditionnel pour inviter à un voyage intime et solitaire au cœur des mémoires personnelles autour de la mort.


"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
Stefan Kaegi et Dominic Huber "Nachlass". Photo Samuel Rubio


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
Stefan Kaegi et Dominic Huber "Nachlass". Photo Samuel Rubio

Imaginée par Stefan Kaegi et Dominic Huber du Rimini Protokoll, "Nachlass. Pieces sans personnes" est une expérience unique qui déploie huit chambres, chacune témoignant de l’histoire singulière de personnes ayant choisi de préparer leur propre mort.


Loin de tout pathos, ce spectacle déambulatoire célèbre la vie par le prisme de la mémoire, offrant une mise en scène profonde et émotive, où le spectateur devient le gardien de confidences posthumes.


Memento mori


Inspiré par des récits authentiques, l’opus brosse le portrait d’âmes singulières: une ambassadrice investissant son héritage dans l’art, un base jumper immortalisant son ultime envol en GoPro, ou encore une nonagénaire horlogère partageant ses souvenirs à travers des photographies.


Dans un récit poignant, une femme relate son expérience du suicide assisté en Suisse, un acte empreint de sérénité et de dignité. Cette mosaïque d’histoires invite à réfléchir sur la manière dont chacun choisit de laisser une trace.


Traces


En écho à Jacques Derrida, qui considérait que « la photographie est la manière dont notre époque fait face à la mort », les dispositifs scéniques de Stefan Kaegi et Dominic Huber plongent les spectateurs dans des espaces de mémoire à la fois poétiques et troublants. Les spectateurs déambulent entre ces chambres de souvenirs, où objets et paroles résonnent comme des échos d’existences passées.


Dans une ère où la mort tend à être niée ou simulée par des technologies avancées, la production offre une alternative sobre et humaine. Contrairement à ces IA post-mortem qui recréent les défunts dans une présence artificielle, Kaegi propose une exploration des traces laissées, préférant la subtilité des souvenirs à une réactivation permanente de ce qui n’est plus.


Héritages


Une voix éthérée, celle de Gabriele von Brochowski, résonne dans l'espace, exprimant son désir de contrôler l'héritage qu'elle laissera. La pièce présente une collection d'archives en carton, illustrant sa carrière d'ambassadrice et son engagement envers les artistes, notamment le chorégraphe Faustin Linyekula.


Chaque espace de l'installation offre une réflexion sur la fragilité de l'existence et les traces que nous laissons derrière nous. Dans la création de Jeanne Bellengi, une table familiale devient le théâtre d'une vie, ornée de photographies méticuleusement reproduites.


Ces images racontent l'histoire d'une ancienne horlogère nonagénaire et sa décision de recourir à l'euthanasie. En entretien, Stefan Kaegi partage un moment poignant: lors de leur contact, elle lui avait confié n'avoir plus que quatre jours à vivre. Les visiteurs, observateurs silencieux, sont confrontés à cette réalité saisissante.


Cette installation souligne l'importance du récit comme vecteur de mémoire. Elle nous invite à réfléchir sur la manière dont nous souhaitons être remémorés, mettant en lumière l'essence de notre identité à travers les histoires que nous laissons derrière nous.


Souvenirs


En interrogeant notre rapport à la disparition, cette installation déambulatoire résonne comme un memento mori moderne. Elle rappelle à chacun sa finitude tout en laissant place à une célébration des souvenirs et des héritages intimes. Comme le souligne la romancière et journaliste espagnole Rosa Montero: «L’identité n’est autre chose que le récit que nous nous faisons de nous-mêmes.» Ce spectacle ne dramatise pas la mort; il la raconte avec sobriété, permettant à chacun.e de se questionner sur ses propres traces.


Entre arts visuels, théâtre documentaire et performance, Nachlass redéfinit les limites de la scène. Le spectateur, désormais acteur, explore des espaces où objets et voix témoignent d’existences passées. Ce voyage au-delà du tangible célèbre l’infini potentiel des souvenirs, car, comme le rappelle Kaegi, le théâtre est un seuil où réalité et fiction se croisent, permettant aux vivants de dialoguer encore et toujours avec leurs défunts.


Bertrand Tappolet




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