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L’image face au réel

L’exposition collective "La Pièce manquante" autour d’images et documents du conflit syrien présente notamment des photos sous forme de puzzle du couple al-Assad et de leurs deux enfants.

"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
"Parcelle" de Julien Serve (de la série "Parcelle")


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
"Light Horizon" de Randa Maddah. Image de la vidéo.

Réunissant photographies, installations, créations graphiques, vidéos et divers documents. La Pièce manquante peut se résumer dans cette interrogation : comment construire et déconstruire des images autour du conflit le plus meurtrier du 21e siècle, la guerre civile syrienne qui a éclaté en 2011?


Rapport César

A l’origine de l’exposition, l’artiste marseillais Guillaume Chamahian revient sur cette guerre médiatique. Avec plusieurs volets «comme autant de protagonistes: la famille el-Assad, les syriens (opposants au régime ou pro-Assad) et César». Ce dernier rapport a été fait pour l’ONU sur la base des photos post mortem de milliers de détenus morts dans les prisons du régime réalisées par un ex-fonctionnaire exilé.


L’absence de portrait se trouve dans un ensemble de clichés accompagnant le Rapport César. César, ancien photographe affilié à la police militaire syrienne a effectué 45’000 clichés (2011 à 2013) de soldats et civils torturés et morts dans les geôles du régime. Ne subsiste que l’étiquette pour identifier les victimes. Pour le reste, l’image est remplie d’un damier pixellisé indiquant qu’elle a subi un retrait, celui du visage tuméfié, affamé inlassablement torturé des victimes.


Mêlant photographies, vidéos, maquette, objets, archives, il convoque la guerre «sans jamais la montrer frontalement, je confronte l’image d’un dictateur moderne » aux citoyens, artistes, lanceurs d’alertes utilisant les nouvelles technologies pour hurler aux oreilles, montrer aux yeux du monde ce que le peuple syrien vit». Enfin ses photos formant 13 objets mise sur une image fragmentaire de matériel de torture. Le débat entre le visible, le lisible et le dissimulé reste irrésolu.


Puzzle familial

Guillaume Chamahian a opté pour l’impression sur pièces de puzzle d’images du couple formée Bachar el Assad, ophtalmologue de formation, et de son épouse, Asma, issue de la très haute bourgeoise sunnite. Dans chaque photo, Il a enlevé le visage de l’un des pires dictateurs de la planète accroché au pouvoir et sauvé par Russes et Iraniens dont il est devenu l’obligé.


On se rappellera qu’une partie de la communication visuelle du couple avant la guerre de 2011 a été confiée aux meilleures agences mondiales afin de séduite les démocraties occidentales. C’est donc littéralement, Bachar, la possible pièce manquante, alors que les biographies à son propos ne se comptent plus.


Les photos sont issues d’un publireportage que Vogue Usa consacre le 25 février 2011, à l’aube de la guerre civile syrienne et des Printemps arabes. Sous le titre Asma al-Assad. Une Rose dans le désert, les photographies du couple en famille avec leurs enfants sont signées du plus prestigieux photographe de l’humanité en guerre vivant, l’Américain James Nachtwey. Une icône du photojournalisme saluée par le film du Soleurois Christian Frei, War Photographer.


Ruines

Pour son film en un seul plan fixe et séquence de sept minutes tourné sur le plateau du Golan. Light Horizon (Horizon lumière, 2012), c’est une actrice - la cinéaste syrienne exilée en France Randa Maddah elle-même - vêtue de noire en endeuillée, qui nettoie au balai puis à l’eau la chambre d'une maison en ruines dans le village de Ain Fit.


Entre des rideaux s’agitant au vent, elle installe table, chaise, coupelle, rocket ainsi que tableau. Tous uniformément blanc, couleur de la disparition. «En prenant soin de la ruine, elle crée une familiarité au milieu de la tragédie et de la ruine», explique l’artiste sur son site.


Livre noir et propagande touristique

Frank Smith, lui, trouble notre rapport aux médias. Il déploie notamment son livre Syrie, l’invention de la guerre. Qui se focalise sur les événements en 2013. Dialoguant avec les dépêches AFP récupérées par Julien Serve, on compte des rapports de l’ONU sur l’état de la guerre en Syrie de 2011 à 2019. Autant de pierre dans le cimetière des droits humains que naturellement personne ne lira.


On trouve une curiosité. Entre les images, un fil de promotion de l’office du tourisme syrien affirmant la pays pacifié. Et montrant un site patrimonial jouxtant des centres de détention et tortures. Un youtubeur occidental invité du régime vante les meilleurs spots. Frank Smith ne fait qu’articuler des régimes universels d’images publicitaires posées tels des vitrines sur les horreurs invisibilisées d’une répression sans fin.


Bertrand Tappolet

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