Leur concert spectacle s’inspire de Riot Days, récit kaléidoscopique de l’une des Pussy Riot. Incantatoire.
Leurs textes sous forme de tableautins ou d’instantanés quasi-photographiques de leurs mésaventures et de slogans sont martelés à l’image d’une oraison crépusculaire, colérique et doloriste. D’où cette sensation de chœur conteur de femmes placées en ligne qui tour à tour se lamentent et s’insurgent.
Les voix, dans leur meilleur trop rare, font songer de loin en loin au Ian Curtis de Joy Division et de la poétesse et chanteuse Diamanda Galás. L’Américaine s’est faite la porte-voix des êtres que laissent mutiques les oppressions, l'incarcération, la violence sexuelle et l'exil.
Punk choral pas mort
Sans renoncer à leur énergie punk originelle, le groupe l’avance comme en creux à base de martèlement vocal, cris et rythmique lancinante inexorable. A la manière d’un chœur antique, elles s’inscrivent dans le lointain sillage du mouvement musical Riot grrrl apparu à l’aube des années 90 aux États-Unis alliant punk rock, rock alternatif et idées féministes. Que l’on songe à Bikini Kill et leur chanteuse Kathleen Hanna, œuvrant dans un centre d'accueil de femmes victimes de violence conjugale.
Sur scène à la Place des Volontaires où une longue file de curieux de tous âges se pressent en file indienne qui serpente, les très attendues Pussy Riot délivrent leur set en un petit tour d’horloge, le minimum syndical. Leu instrumentarium peut surprendre par sa sobriété. Exit les guitares aux riffs enfiévrés de deux accords des débuts. Bonjour au synthé avec nappes et boucle rythmiques new wave et deep house. Mais aussi petites caisses, boîtes à rythme et de manière sporadique flûte traversières à la manière de Jethro Tull. Vu la moiteur ambiante, elles n’abusent pas du port de cagoules colorées aux couleurs des drapeaux de la Fédération de Russie et de l’Ukraine.
A livre ouvert
Bien que minimaliste et sériel, l’ensemble musical vise une efficacité post-dark wave et dancefloor façon deep tech house. Habillé en robe estivale fluide, un saxophoniste moscovite, Anton Ponomarev, que l’on croirait réchapper des Lounge Lizard formé par l’Américain John Lurie vient en caméo furtif et fond de scène feuler son rock free jazz cuivré du plus effet sauvage et distordu. On songe aux solos d’Eric Dolphy partagés entre l’extase et l’exubérance. Narrant leur histoire dans une forme de journal intime et vidéographié, épique et politique, elles citent Che Guevara et fustigent Vladim Ploutine sur tous les tons.
Pour évoquer leurs désirs d’une Révolution inachevée ou inadvenue déjà évoqué par l’étudiante en philosophie puis cofondatrice du groupe. Mais aussi dans l’esprit de ses paroles atemporelles: «Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n'importe quelle injustice commise contre n'importe qui, où que ce soit dans le monde. C'est la plus belle qualité d'un révolutionnaire.»
Chroniques
Inspirée de l’ouvrage de l’une de leurs fondatrices des Pussy Riot, Maria Alkhenina, Riot Days, la dramaturgie du spectacle de leur «Anti-War Tour» s’apparente à une chronique éclatée par chapitres dûment numéroté à l’écran dans une veine à la fois pop art graphique et brechtienne. On songe ainsi épisodiquement au Journal de Kurt Cobain (Nirvnana) dans cette forme de mash-up ou collage-montage et au cut-up de William Burroughs. Maria Alkhenina narre son vécu de la performance moscovite anti-leader russe qui lui a valu procès, incarcération et de ses protestations en prison - dont des grèves de la faim.
Le livre reprend les notes d'histoire graffitées de ses années d'école, le choc des formes d'expression officielles et non officielles, de l'autorité et de la protestation. La période filant de 2011 et sa sortie de prison en décembre 2013 est narrée sous forme de bribes textuelles, des vignettes éphémères, dont sa perception auditive du système carcéral russe est le plus saillant.
Bertrand Tappolet
Site des artistes: https://pussy-riot.livejournal.com/
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