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Sur les pas de Reinhold Messner

En 1970, une expédition sur le Nanga Parbat vire au tragique. Pour le récit polyphonique, «Versant Rupal», l’alpiniste Reinhold Messner est incarné par trois voix. Haletant et poignant.

"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
"Versant Rupal". Photo Céline Ribordy


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
"Versant Rupal". Photo Céline Ribordy

Inspiré de livres où Reinhold Messner concilie ses souvenirs et carnets d’ascension ainsi que ceux de son frère Günther, le texte de Mali Van Valenberg monté par Olivier Werner maintient un suspense hollywoodien digne des meilleurs thrillers du genre.


Mélange des genres

A trois interprètes, ce récit choral nous prend à la gorge. Pour mieux nous immerger dans les sensations, ressentis, colères et souffrances, réflexions et deuil impossible de l’alpiniste tyrolien. A la fin de Versant Rupal, Messner sur son lit de camp, «n’est plus rien qu’un homme qui vient de perdre son frère.» En plein effondrement montagneux et fontes glaciaires, 52 ans après cette ascension et surtout descente cauchemardesque des frères Messner, le sommet pakistanais du Nanga Parbat fascine toujours.


Entre théâtre néo-documentaire, journal d’une expédition et récit poétique passé à plusieurs voix qui se tuilent autant qu’elles se relayent comme dans une cordée, le dessein de Versant Rupal, la voie la plus périlleuse du Nanga Parbat, est de donner l’impression de faire corps et âme avec celui qui deviendra un mythe de l’himalayisme. Reinhold Messner fut en effet le premier à escalader les quatorze sommets de plus de 8000 mètres de la planète jusqu’en 1986 - année, où il renonce à l’alpinisme extrême selon la parole donnée à sa mère. Ceci selon une technique d’alpinisme dite sobre ou légère et sans oxygène.


Être Messner

Nous sommes en 1970, il a 25 ans. La descente, elle, se révèle chaotique aux côtés de son frère cadet (24 ans) devenu zombie somnolant, victime du mal des montagnes. Et du fait d’avoir englouti beaucoup trop vite les 600 derniers mètres de dénivelé du couloir Merkl du neuvième sommet le plus haut du monde (8126 mètres). Pour accomplir un rêve. Il disparaîtra dans une avalanche alors que son frère assoiffé n’a plus pu surveiller sa descente.


Au plateau, quelques feuilles métalliques aux reliefs creusés et escarpés figurent la montagne fragmentée. Elle surgira bientôt d’une nappe de brume. A main gauche, Il faut voir la comédienne Mali Van Valenberg se dessiner un chemin dans une neige imaginaire, puis empaumer à nouveau ce sillon telle une funambule. Mot après mot, la brindille fait corps avec les sensations et tâtonnements de l’alpiniste. Ceci jusqu’à sa folie que la comédienne transmet au plus juste. Ainsi lorsque Messner est victime d’hallucinations en raison de l’altitude, l’épuisement, le manque de nourriture et d’eau.


Faire images

A l’oreille, la dramaturge a reconduit un dialogue entre Karl Maria Herrligkoffer, le controversé chef d’expédition obsédé par le sommet pakistanais, et Messner présent dans le film Nanga Parbat de Joseph Vilsmaier tiré du récit de l’alpiniste. Sans oublier son long combat inachevé contre l’accusation d’avoir abandonné son frère (dont une deuxième chaussure a été retrouvée en juin dernier attestant pour Messner de sa vérité sur une coulée meurtrière ayant emporté Günther). Il y a aussi les mensonges de Karl sur son lancement d’une fusée, dont la couleur erronée participera du désastre de l’expédition au Nanga Parbat.


Sauf que là où les images peuvent faire barrage à l’attachement animal, viscéral du Tyrolien au minéral et à la montagne, l’écriture de la dramaturge et comédienne fait corps avec elle. Et l’anatomie stigmatisée d’un alpiniste miraculé tombant littéralement en morceaux au fil de son périple pour la survie.


Écriture musicale

Côté paysage et atmosphère sonore, les interprètes sont certes accompagnés par le percussionniste Didier Métrailler. Grâce à son hang, le musicien favorise au détour d’un épisode un rythme rêveur, ivre et suspendu. Mais c’est bien l’écriture musicale et organique, sensorielle et pulsionnelle de Mali Van Valenberg qui fait l’essentiel de ce parcours.


Avec une parole concise, la comédienne et dramaturge a su développer un rapport sonore, acoustique à l’écriture. Celle-ci est rythmée par la reprise de motifs. On appréciera sa belle capacité à imprimer et transmettre tout ce qui traverse l’esprit et le corps de l’alpiniste comme en temps réel. Sans filtre. Jusque dans la douleur, le souffle et l’hallucination.


Bertrand Tappolet






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