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Troubles dans la contemplation

Dernière mise à jour : 2 oct. 2023

La Triennale de sculptures Bex & Arts invite à augmenter notre compréhension de la nature, du silence et du temps tout en brouillant nos perceptions.

"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
Audrey Cavelius et Christophe Gonet. "Un Abri". LDD


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
Moni Wespi. "Dancing Ages". DR

En haut du Parc Szilassy, on voit Un Abri œuvre cosignée par la femme de théâtre Audrey Cavelius et le compositeur Christophe Gonet. Une porte à découvrir permet de franchir un mur végétal. Il s’agit d’une copie d’après nature, voire d’un camouflage réalisé avec des artefacts en plastique. Si l’amnésie environnementale a conduit à cette plastification de la biodiversité en chute libre sous forme de leurre, il en va de même de sa composition sonore.


A l’oreille, on perçoit des sons d’insectes. En vrai, ce sont les deux artistes qui ont mêlé leurs bruits de bouche pour imiter des insectes. Pour mémoire, durant les trente dernières années, l’être humain a décimé jusqu’à 75% des effectifs des populations d’insectes dans diverses régions de Suisse. «En recomposant des bruitages d’insectes à l’image de ce mur architecturé comme une vision, un tableau dans le paysage. La nature est ainsi imitée par l’humain», suggère Audrey Cavelius. Telle une archive de ce qui bientôt risque de n’être plus.


A l’ombre du silence


Réacteur désactivé de l’une des deux centrales nucléaires en Belgique, procession d’adultes silhouettés devant un duo d’enfants accolé à un mur en Corse… Comme une oscillation de la présence à l’absence. Réalisée par la photographe Aline Fournier, la série Traces, dont six images monumentales s’affichent sur micro-bâches perforées et grillages forment un pentagone cernant le visiteur. «Je crois que pour pouvoir être entrer en lien avec un lieu, il faut du silence. Il faut l’absence d’oralité. L’absence de production effrénée. Juste l’arrêt, le temps mort, le temps qui se dilue, le moment présent, l’absurdité dégagée», explique l’artiste.


Mené depuis 2014, son travail solitaire parfois douloureux rapporte au fait qu’elle fut atteinte d’une surdité suite méningite à l’âge de trois ans est indissociable de son handicap. Constituant une sorte d’autoportrait en creux dans un une veine méta-photographique, la série est ainsi intimement liée à un parcours de vie qui situe Aline Fournier dans un entre-deux. «Je ne suis ni sourde - n’ayant pas eu accès à la langue des signes ni à la culture sourde - , ni entendante -parce que sourde profonde et entravée dans la communication. Je suis dans un entre-deux.»


Micromouvements


Danseuse, chorégraphe et plasticienne, Moni Wespi présente Dancing Ages, vidéo silencieuse filmée en plan fixe. A l’écran installé dans une géode en bois, ses parents évoluent par micromouvements incroyablement décélérés au cœur d’un cirque montagneux des Grisons près d’Almens, son lieu de naissance. Leur chorégraphie en apesanteur les voient se diriger vers un hug (étreinte) ourlé d’une jubilation à être deux. Depuis 2014, l’artiste réalise des Moving Portraits.


Soit des portraits «allant de l’arrêt de l’image au micromouvement, si infime soit-il. Avec un travail sur le costume visant à fondre les sujets dans le décor.» Grâce des costumes imaginés par l’artiste et sa mère, les deux corps se fondent en partie dans le paysage alpestre.


D'une médusante sérénité, l'influx circule, vibre sous l'imprégnation du mouvement quasi imperceptible ouvrant littéralement l'espace. Cette réalisation au temps presque suspendu ramène à la perception contemplative, fragmentée, ralentie et dilatée des gestes et du temps chez la personne âgée. «Ce besoin de ralentir physiquement révèle une grâce et une légèreté que l’on pense perdre avec la vieillesse. J’ai ainsi souhaité redonner ces qualités aux corps âgés.»


Vertigineux manège


Les traces toujours vives de l’enfance comme expérience de la vision sont omniprésentes dans la sculpture installation mobile de la designer Camille Scherrer. Son stabile Play Out est un manège aérien faisant tourner jusqu’au vertige malaisant, en un sens puis l’autre, de petits avions blancs imprimés en 3d suspendus à sept mètres de hauteur.


«J’ai voulu générer cette sensation de tournis qui trouble l’espace aussi par le son, en témoigne le sifflement du déplacement toujours plus rapide des avions. Sans y mettre toutefois une préoccupation environnementaliste», confie l’artiste. Ces avions stylisés n’évoquent-ils pas ceux en papier de nos enfances? Une invitation poétique ambiguë au ludisme à travers une sorte de vortex absorbant et brouillant la vision.


Bertrand Tappolet

Bex & Arts. Jusqu’au 24 septembre.




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