L'Amazonie en péril entraînant dans son naufrage la Terre entière est la préoccupation centrale du photographe brésilien historique Sebastião Salgado.
Par des livres, expositions et campagnes de sensibilisation, l’homme d’images a consacré les dix dernières années de sa vie à la défense de l’Amazonie.
Les quelques deux cents photos présentées ont été réalisées au cours de sept années de voyages à sillonner la forêt brésilienne. Grâce à l’aide de la Fondation nationale de l’Indien en charge des affaires indiennes très attaqué par le gouvernement de Bolsonaro, Sebastião Salgado a rencontré une dizaine de peuples autochtones. Jusque dans les zones les plus méconnues de ce qui est considéré comme l’un des poumons de la planète gravement menacé par l’anthropocène.
Paradis refiguré
Entre janvier et juin dernier, la partie brésilienne de l'Amazonie (60%) a perdu près de 4000 km² de surface boisée selon l'Institut national de recherches spatiales. «L’un des buts de ce projet photographique est de témoigner de ce qui existe encore avant que davantage ne disparaisse… Ici s’étale à l’infini la forêt qui abrite un dixième de toutes les espèces animales et végétales. Le plus grand laboratoire naturel au monde», écrit le photographe dans Amazônia (Ed. Taschen).
Au détour de ce livre monumental et de l’exposition, Salgado se révèle anthropologue, ethnographe et photographe visionnaire. Son dessein a toujours été de magnifier les sujets portraiturés cheminant ici des espaces naturels aux membres de tribus menacées. Les fêtes, dont l’une permet l’affirmation symbolique du pouvoir des femmes, rythment la vie quotidienne comme dans le territoire indigène du Xingu peuplé par 6000 Indigènes de 16 groupes ethniques.
Paroles indigènes
Quant à elle, la tragédie se dit de la bouche même de témoignages recueillis auprès des tribus. Ainsi cette habitante du village Ipavu dans le Xingu au régime alimentaire essentiellement à base de poissons: «J’ai peur que la forêt succombe, que notre eau et les poissons disparaissent… Ils construisent des barrages. Ce gouvernement ne pense qu’à l’homme blanc. Où allons-nous trouver la nourriture pour nous nourrir? Nous sommes très inquiets car nos médicaments brûlent. Comment allons-nous nous soigner?»
Ce roman de voix dit l’atteinte létale aux cours d’eau par la pollution, la déforestation en cours depuis près d’un demi-siècle, les incendies provoqués, la répression multiforme, la pandémie qui se propage sans freins ni vaccins. L’ensemble fait se rejoindre écocide et quasi-génocide des peuples indigènes.
Rivières volantes
Sur les images, toutes les générations s’affichent, des enfants aux ancêtres avec leurs peintures et parfois coiffes de plumes lors d’un rituel célébrant vie, mort et renaissance chez des communautés Kuikuro et Waurà. L’atmosphère est à une solennité déterminée évoquant les premières heures de la photographie d’ethnographie.
L’aspect pictural est rehaussé par des tons sépia classiques insufflant chaleur, douceur et étrangeté aux portraits et vues aériennes de nature. Ces dernières tendent vers l’Abstraction. Flirtant avec le fantastique de lumières irisées et quasi irréelles comme de colonnes de vapeur ascendantes, les ciels sont des manifestations évoquant les forces de la Nature à la manière d’une peinture de Maître du Quattrocento.
Aux yeux de l’homme d’images, il s’agit d’un Paradis toujours à portée de main et d’une Amazonie bien en vie. Les grands tirages subliment ces immensités forestières, lui donnant une majesté et une profondeur insoupçonnée. Le rendu flirte parfois avec l’icône religieuse célébrant cette incroyable capacité à favoriser les «rivières volantes». Ce sont des cours d’eau apparaissant quotidiennement au-dessus des 400 à 600 milliards d’arbres dégorgeant jusqu’à 1000 litres d’eau par jour. Ces rivières aériennes véhiculent une quantité de vapeur parfois supérieure à l’eau charriée par le fleuve Amazone.
Bertrand Tappolet
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