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Luttes quotidiennes au féminin

Dernière mise à jour : 22 nov. 2023

Inspirée de faits réels, "Black Lights" de la chorégraphe Mathilde Monnier est un spectacle-manifeste se faisant le sismographe de violences faites aux femmes, des traumas et résistances qu'elles engendrent.

"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
"Black Lights". Photo Christophe Raynaud de Lage


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
"Black Lights". Photo Christophe Raynaud de Lage

De l’imposition de talons hauts (de huit ou dix centimètres) en entreprise pour stimuler la libido de gros clients à la plainte d’une patineuse violée par son entraineur plusieurs décennies après les faits, c’est le livre noir des atteintes faites aux femmes qui se déploie dans Black Lights.


Voyez au plateau ces corps en contorsions, marches énergiques, retournements et effondrements sur soi. Ces gestes intenses aussi où une femme cherche à se laver et purifier. Elles sont comédiennes ou danseuses et jouent de corps cassés, d'un écartement de ses jambes plus émancipateur qu'érotique. Elles sont une et plusieurs tant nombre de personnes ayant subi des agressions sexistes et sexuelles peuvent y retrouver ou projeter leur part parfois inconsciente partagée entre traumatisme et refoulé.


En plusieurs histoires, notamment de harcèlement d’une violoncelliste par son professeur, les corps des interprètes sont mis en écho, dédoublés, voire jouent sur la choralité. L’opus aborde aussi les répercussions qu’une situation d’agression - viol, harcèlement, humiliation, injure, stigmatisation, racisme… - peut avoir à vie chez celles qui sont loin d’être ici victimes-écrans et soumises.


En femmes puissantes, elles reprennent la parole et la maîtrise de leur récit confisqué par la police, la justice, l’agresseur, un système de pouvoir, l’omerta… Ceci à travers 24 autrices, dont l’Américaine Siri Hutsved. Différentes nationalités et générations de plumes, à l’image des huit interprètes passant par la parole conjuguée au mouvement ces récits au plateau.

Ecritures


Créée au Festival Montpellier danse, Black Lights prend appui sur une série de très courts métrages intitulée H24 réalisés pour Arte sur une idée des cinéastes Valérie Urrea et Nathalie Masduraud. «C’est moins la série filmique de 24 capsules que les textes féministes parus chez Actes Sud qui ont été déterminants dans le désir de réaliser mise en scène et chorégraphie.»


L’artiste poursuit: «Pour mémoire, le texte est souvent dans mes pièces un déclencheur, un embrayeur d’imaginaires et possibles chorégraphiques. Ainsi davantage que l’image, le texte favorise et produit du geste. Pour des questions de durée, il m’a fallu toutefois sélectionner une dizaine de ces monologues.» On sait le rapport étroit de la chorégraphe à la précision narrative, pulsionnelle et rythmique venue de la littérature.


Colère et riposte


Sa pièce, Mathilde Monnier l’a voulue atemporelle et tragique. Dès lors, nul hasard à ce que H24, le livre aux phrases concises, cite dans sa préface les mots de l’écrivaine, poétesse et militante lesbienne américaine Audre Lorde, «J’ai léché les lèvres d’une louve, la colère, et je m’en suis servie pour illuminer, rire, protéger, mettre le feu en des lieux où il n’y avait ni lumière, ni nourriture, ni sœurs, en des lieux sans merci.» Pour Ça, c’est mon corps, l’écrivaine polonaise Grazyna Plebanek, aux romans qui gravitent autour de femmes fortes, suit une boxeuse en pétard attendant son bus.


Elle se souvient de cet homme à capuche voulant lui toucher les seins puis la traitant de «Salope». La situation d’agression réactive alors le mantra de son entraîneur, «Gauche, droite, crochet, esquive.» Face au visage de l’homme qui part maintenant en sang, elle s’en veut. Mais finit par lancer per se, Ça c’est mon corps.


On est soufflé par l’incroyable retournement sémantique du christique et patriarcal, Ceci est mon corps, credo liturgique de l’ultra conservatisme catholique polonais anti-femmes et LGBTQI*. Pour transposer ce monologue au plateau, Mathilde Monnier a choisi une interprète emblématique de pièces du chorégraphe étasunien historique, William Forsythe.


Emprise et sororité


Comme à son habitude, Siri Hustvedt réfléchit au détour de Concerto N°4 à la manière, dont ici une étudiante en violoncelle harcelée par son professeur, se constitue en tant que tel. Elle élabore, à travers la pensée, la mémoire, le langage, son problématique être-au-monde face à l’indifférence et au déni de toute une société. Révélateur. «Il existe une progression dans la pièce partant de faits apparemment anodins à des réalités dramatiques et graves. »


«La scène permet une communauté, une choralité sororale, un regroupement de femmes s’accordant pour se soutenir comme c’est le cas pour MeToo, explique la chorégraphe. Ainsi quand une femme parle seule, elle n’est souvent pas crue ni entendue. Contrairement à la série TV, les femmes au plateau et à la vie sont moins seules. C’est une dimension essentielle de Black Lights


Bertrand Tappolet




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