Il était une fois… deux jouets. Un soldat et une ballerine. Après être tombé en amour, voici venu le temps de la séparation.
Dans un décor évoquant l’enfance et le monde adulte tel un égout, Le Soldat et la Ballerine de Roland Schimmelpfennig est un étonnant détournement de conte.
A l’image de la saga d’animation Toy Story ou des jouets usagés voire cassés qui se racontent des histoires, le fantassin à la barbe rousse semblant sortir des tranchées de la Grande Guerre 14-18 et la danseuse comme inspirée d’un clip de Lady Gaga errent dans une cité hostile. Ou plutôt ses bas-fonds.
Pourront-ils affronter le monde hostile et incompréhensible des grands? De métamorphoses de décors en personnages à foison, d’aventures avec des rats cruels ou autres rencontres improbables, les deux inséparables cherchent à se comprendre. À l’image de tout enfant.
Faire récit
L’homme de théâtre suisse Robert Sandoz aborde avec un regard curieux et non moralisateur cette pièce écrite d’après le conte L’Inébranlable Soldat de plomb de Hans Christian Andersen. Les héros malgré eux ont pour volonté de raconter coute que coute leur histoire, de voyager dans le monde auquel rien ne les préparait, de surmonter l’adversité et de cultiver leur amour. La fable traverse une succession de lieux sur un mode puissamment cinématographique. Il n’y a pas de retour possible sur un lieu passé au fil de ce mouvement perpétuel proche du road movie, explique le metteur en scène. Le rideau blanc figure ici le monde protégé du royaume de l’enfance.»
Clairement, ce sont les deux jouets eux-mêmes qui prennent en charge le récit puis le jeu, plus encore, la mise en scène. La ballerine a l’humeur enchantée et l’habit d’une héroïne manga. Après leur abandon, ils se découvrent amoureux, puis emportés par un vent mauvais. L’innocence d’enfance triomphe face à l’illogisme d’un monde adulte et l’adversité. Car ici rien ne brûle. Hors l’haleine d’un dragon salvateur. «A chaque épisode du récit, il s’agit d’une recherche d’équilibre entre conte, modernité, symbole et réalité politique, relève Robert Sandoz. J’aime précisément ce texte pour son alliage entre poétique, lyrique et concret politico-social.»
Péripéties
Auparavant, dans une atmosphère plasticienne où noir c’est noirs comme dans les peintures d’un Pierre Soulages, nos deux jouets humanisés passent par l’estomac d’un poisson ou le nid d’une pie dessine un périple initiatique, où les égouts sont des fenêtres ouvertes sur l’imaginaire. Aux enfances éprouvées comme rarement pas la période pandémique, la pièce offre consolation et reconnaissance de leurs rôles en première ligne de défense de la vie.
L’univers sonore se déploie à la manière d’une bande-son cinématographique. Et c’est une histoire posant des exilés et migrants naufragés qui peut se lire en creux de ce conte tour à tour pessimiste et optimiste. Sous la plume du dramaturge allemand, Il est à la fois archétypal et terriblement actuel. Sans oublier de marier les imaginaires enfantins et adultes.
Bertrand Tappolet
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