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Ecrire sur la paysannerie

L’écrivain morgien Blaise Hofmann croise les points de vue et expériences antagonistes sur le monde agricole suisse en sursis. Entre requiem et espérances.

"La Nuit tombe", photo de la série "L'Oeil cacophonique" inspirée de l'univers dada et de Facebook. Aurore Valade
Blaise Hofmann. Photo Roman Lusser


"Epoca" extraite de la série "L'or gris". Aurore Valade
Blaise Hofmann. Photo Roman Lusser

Entre reportage, biopic, témoignage et essai, Blaise Hofmann, fils et petit-fils de paysans, interroge dans Faire paysan notre relation aux hommes et femmes de la terre. Et cherche à installer un dialogue entre ville et campagne. Or le constat est mitigé entre des paysans dépeints comme des assistés pour lesquelles chaque citoyen paye plus que la redevance radio-tv d’une part. Et de l’autre, des agriculteurs aux prises avec une administration kafkaïenne, des distributeurs aux marges voraces et des consommateurs qui n’ont pas l’air de s’affoler du naufrage paysan tant que les étals des grands distributeurs sont bien achalandés.


Paradoxes


Pour expliquer le déclin du monde paysan perdant annuellement 1500 exploitations, la cause essentielle résulterait pour l’auteur en entretien d’«un choix politique, celui des paiements directs versés selon le nombre d’hectares du domaine paysan concerné.» En conséquence, depuis un-demi-siècle, «les plus gros producteurs avalent les petits. C’est du darwinisme rural. » Côté conjoncture, il y a la chute du prix du lait et de la viande, l’accumulation de normes toujours plus contraignantes encadrant élevage et cultures chez ceux qualifiés de gardiens du paysage. Sans compter les effets délétères du dérèglement climatique mettant la sphère paysanne sous pression. De fait, elle se sent souvent agressée par chaque initiative environnementale la concernant.

Les gens de la terre sont souvent piégés par une spirale de surendettement menant à la faillite et à la vente, si ce n’est au suicide. De plus «la bureaucratisation de l’agriculture décourage de plus en plus de vocations». Accusée d’être «tueuse d’abeilles» par pesticides interposés et de s’opposer à la réintroduction du loup dans le Jura Vaudois qui lui a valu 70'000.-d’indemnités en 2021, la paysannerie se confronte à des distributeurs et transformateurs prédateurs aux marges les plus importantes en Europe. L’ouvrage s’en prend ainsi à la Fenaco, société coopérative agricole possédant notamment les magasins Landi. «Ce sont ces géants qui imposent les prix, mais aussi les règles de production: calendrier des récoltes, quotas et calibres des produits».


Faire agricultrice


A la manière d’un Martin Luther King de la ruralité essentiellement high tech dans sa gestion des bêtes, fourrages, cultures et stocks, Hofmann écrit avoir fait ce «rêve tout en nuances, un rêve de lenteur, de silence: l’un descendait de son tracteur, l’autre de sa tour d’ivoire.» Au rayon du lait équitable visant à une juste rétribution des éleveurs et éleveuses mais ne représentant qu’une très faible part de la production du pays, on croise Anne Chenevard de Corcelles-le-Jorat.


Cette énergique agricultrice est vent debout contre la grande distribution. Elle dénonce «le gâchis des produits alimentaires» issus de leurs règlements. «On déclasse 40 % des fruits et des légumes à cause des calibres exigés», rappelle-t-elle. Les oubliées du travail de la Terre ont droit à leur épitaphe, «seul un tiers des femmes d’agriculteurs touchent un revenu: un salaire versé par le mari ou un partage des gains en tant que co-exploitante.» Elles sont essentiellement non-propriétaires et bénévoles.


Bertrand Tappolet






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